Forteresse de cristal

Je vis mal ce qui vient de se passer. J’ai mis un océan entre moi et les souvenirs que j’ai quittés. Je me suis réfugié dans les tragédies d’autres peuples. J’ai essayé de sublimer la rage dans la poésie et, par sublime acte de ventriloquie, de me noyer dans une langue qui n’est pas la mienne … bref, j’ai beau essayer de me faire passer pour quelqu’un d’autre, tout me tire inlassablement vers le passé, vers mes racines qui me dégoutent et que je refuse.

Je m’arrête pour regarder en arrière. Vers les rives ensanglantées d’une contrée que je ne reconnais à peine, puis vers un horizon grisâtre que seule la moquerie divine saurait créer. Dans l’entre-deux, tout est figé. Les turbulences que je croyais passagères viennent s’installer pour de bon. Les vagues viennent me troubler jusqu’à ce petit havre de paix où je ne me reconnais plus.  Autour de moi la vie continue comme si de rien n’était.

Mais je m’écroule sous les yeux vides, glacials, des habitants de cette forteresse de cristal construite pour refouler la souffrance humaine qui l’entoure (non, le monde ne s’écroule pas pour eux, du moins pas encore). J’essaie de faire pareil, c’est-à-dire de faire semblant que tout est beau, que ça va bien aller, alors qu’on vit la fin d’une époque.

Tout m’invite à détourner le regard. Comment ne pas accepter l‘invitation de l’indifférence ?

Les cris des exilés tombent dans le vide face aux supplices des puissants. Devant l’espoir brisé d’un monde commun fondé sur l’amour et la vérité, nos voix faibles n’arrivent guère à se faire écouter, à franchir les murs faits de malentendus. C’est gênant d’entendre que le glas sonne pour eux. Il sonne pour nous. La barbarie gagne dans le silence.

Ça va ?

Ça va ? « Hey, how are you ? » Cómo estás ? Ça m’a pris des années avant de comprendre qu’en Occident, il ne s’agit pas d’une question qui invite à une réponse honnête (même entre amis) mais plutôt d’une formule de politesse. Pour briser la glace sans briser le cœur. 

Dire comment tu vas –, mais vraiment, — c’est renoncer aux frontières émotionnelles entre toi et autrui. C’est confesser une certaine folie.

« Tout va bien », alors : je le dis, comme la plupart de gens le disent, tout souriant, pendant que le monde s’effondre et ils crèvent de chagrin, en ne pensant pas du tout que tout est beau, mais qu’au fond et du moins, ils ne renoncent pas à la vie. Pas encore.

Car, on ne te demande pas où tu vas ni d’où tu viens : c’est-à-dire, ton passé, ton parcours, ce qui tu amènes ici. Là, devant l’autre qui ne cherche pas à connaitre, vraiment, les écueils que la vie a parsemés sur ton chemin. L’autre ne se permet pas non plus de savoir où tu aimerais aller et ce que tu attends de l’horizon. De sa part, il n’y a rien d’égoïste : il est pratique courante d’épargner un ami de sa propre folie et on ne cherche pas la pitié. Car on a chacun nos propres calvaires à traverser et qui a le temps, sauf un psy, pour s’intéresser à nous ?

C’est la modernité : payer 100 $ pour se faire écouter pendant une heure par quelqu’un d’autre que sa grand-mère. C’est plus facile de se livrer à un inconnu, à l’anonymat, que d’ouvrir les frontières de l’esprit à ceux qui tiennent vraiment à toi. Au plein milieu de la foule, on tient à notre solitude.

Ouragan et exil

L’ouragan sévit dans le pays qui t’a vu naître. Sur le cœur, le poids de l’exil pèse plus lourd certains jours que d’autres. Quoi qu’on fasse, l’esprit se porte vers le monde qu’on essayait d’oublier — mer, montagne, soleil, amis, aimés, chaos — qui doit se composer avec les vagues qui risquent de l’engloutir. 

Tu réfléchis aux choix qui t’ont amené vers cette île de paix confrontée à la douce froideur de l’hiver. Pourquoi toi et pas un autre ?

Or, tu as beau vouloir tout donner, le sentiment de culpabilité te traverse au quotidien. L’on exige de toi l’intégration, voire la perfection, sinon beaucoup d’argent. Maintes fois l’on t’oblige à te réinventer. Et tu te réinventes volontiers.  A t’assimiler, ce que tu fais petit à petit, jusqu’à oublier tes racines, ton passé, ta langue maternelle, la chaleur humaine qui t’a fait naître, la culture qui t’a fait vivre et qui t’étouffait en même temps, jusqu’au jour où tu décides de partir ailleurs, à la recherche de la paix.

La paix dont on ignore la fragilité : comme l’on ignore ce que tu as dû traverser pour arriver jusqu’à là —, qui n’a d’ailleurs rien à voir avec l’enfer que traversent les autres, — pour franchir les murs de cette forteresse de cristal que tu as osé appeler chez toi.  

Franchir. Le doute et le mépris, le jugement, l’ignorance, la médiocrité, les regards vides et les rapports superficiels et intéressés, face auxquels tu montres un visage souriant, toujours souriant. Tiraillé entre gratitude et colère, tu souris, comme d’ailleurs tout le monde ici : des souris souriantes. Sourire. Parce que tu es fort. Tu es « résilient ». T’es parfait. Parce que ça va bien aller. C’est permis de rêver.

Être déraciné, mais content de l’être. Sans appartenance à nulle part. Doté de la douce magie de l’exil, tu te déclares solidaire avec cette espèce humaine aussi bête qu’aimable.

Au commencement

Au Commencement

Le deuil nous détient, lourd comme le ciel,

Le silence devant l’infini, noir devant la lueur faible de la délivrance remise,

Les larmes engloutissent les tombes du Prophète et son Royaume

Les paroles tombent sur la foule aveuglée,

Les yeux se lèvent vers le silence sourd du divin devant la création gémissante,

les regards coupables, les cris au secours, la souffrance grandissante

Rouge sang se lève l’aube à l’horizon,

La douce aurore éblouissante se révèle plus sombre que l’océan,

Là où les frontières disparaissent et les chemins s’entrecroisent

Les âmes et le Verbe se chevauchent et tous se ressemblent

Sur cette terre d’innombrables adieux

Vouée au (re)commencement.

CJ Chanco

At the Beginning

Grief holds us, heavy as the sky

The silence before the infinite, dark before the faint glow of deliverance postponed
Tears swallow up the tombs of the Prophet and his Kingdom
Words fall on the blind mob

Eyes rise toward the deaf silence of the divine before the groaning of Creation

the guilty stares, the cries for help, the overwhelming suffering

Blood red rises the sun on the horizon

The soft, blinding light of dawn is darker than the ocean

There where borders disappear and paths cross

Souls and the Word join into one whole

On this earth of countless farewells

Doomed to begin again.




The moment hesitates

CJ Chanco (Aegina, 2019)

Every moment is a hesitation

between the old and the new

Confined, as it were, to life’s absurd rhythm

with neither reason nor aim.

Where to go, stranger,

when it all comes to a standstill,

where do we go

before the metronome’s pause?

For we who have sailed away

 across seas of causes lost and found,

for you who have known suffering

there, even, where you went seeking peace

in these strange lands, in these strange times

when memory is no defence

where innocent, you are proven guilty.

For those whose worlds ended long ago 

This moment hesitates

between regret and redemption

and exile digs deeper still.

What to do

when history rhymes no longer?

The mouth of the cave

You live in glorious uncertainty, as this world turns in its own grave, but in the collapse of all thought and sensibility, grief animates creativity. You will know which way to turn when there is no place to lay anchor; you recalculate, you reorient, but there is neither harbour nor safe shore. No place for the heart to rest. You only notice the nests in the trees in the depths of winter, when the leaves are gone and all the birds have flown away. You only feel for the light when the fire dims, when something inside you dies just a little, and you see with perfect lucidity — there, by the embers that remain, in their faint afterglow, the mouth of the cave.

Undone

I am being willingly disassembled,

split into fragments of embezzled light.

I seek the restoration of that rare quality of soul

in pools of broken compromises that collect in you to make in me another whole.

I am haunted by my desire to withdraw

from this extended prelude to a romance that ends on page one

But I am called by the wind which calls no ship to harbour

It is the order of a world undone.

I follow you to the ruins in this pause between the shadows

The curtains close and we are alive, for once.

Unadulterated

You ran to the city in search of saints, sharing our life lessons, speaking in tongues to mute audiences, their heads bowed before blood-stained confessionals, hearts calloused by the cruelties of generations.

You made an art form out of missed encounters, between these strangers who will see no tomorrows, between stubborn dawns and the closing of the days, whose silences are reveries to the original loss.

You sang tone-deaf lullabies to seeds unsown, turning in their graves, seeking shelter in the embrace of many winters, growing around the flames, in search of pure, and unadulterated, kindness.

Sea Gypsy

Thought I’d reached the end of my rope

Thought I’d crashed into the last reef,

But every end is a starting point,

for all things worthwhile

and every unexpected hope.

 

Sailing away, I sometimes stumble into things

Some things I wasn’t looking for

Other things I least expect,

But of all the things that I found,

You were what was missing all along.

 

I feel I’ve known you, somewhere between a week and a century,

Maybe it’s only been a moment in time,

But what is time if not a brief pause in infinity,

What is this thing that humans call divine, but I would call love,

if not the power to bring the ocean to a standstill,

Or turn every end into a beginning?

 

Now there is nothing I’d like more

Than to fill your cup with mine

And to lift your sails with a soft vanilla breeze (if I am enough)

There’s nothing I desire more,

Than to lose my way

And find it in your embrace.

 

Sea Gypsy, you’ve seized my anchor

And now I’m stuck on this reef (with you and for you, the Pirate of my soul)

that makes all things feel

Moderately unhinged

Sinfully profane

Painfully silly

Surely loved

Slightly human, again.

 

CJ Chanco

Unadulterated

Running to the city in search of saints, sharing life lessons, speaking in tongues to mute audiences, heads bowed before blood-stained confessionals, hearts calloused by the cruelties of generations, 

making an art form out of missed encounters between strangers who will see no tomorrows, between stubborn dawns and the closing of the days,

whose silences are tone-deaf reveries and lullabies to seeds unsown, turning in their graves, seeking shelter in the embrace of many winters, growing around the flames, in search of pure, and unadulterated, kindness.