Je vis mal ce qui vient de se passer. J’ai mis un océan entre moi et les souvenirs que j’ai quittés. Je me suis réfugié dans les tragédies d’autres peuples. J’ai essayé de sublimer la rage dans la poésie et, par sublime acte de ventriloquie, de me noyer dans une langue qui n’est pas la mienne … bref, j’ai beau essayer de me faire passer pour quelqu’un d’autre, tout me tire inlassablement vers le passé, vers mes racines qui me dégoutent et que je refuse.
Je m’arrête pour regarder en arrière. Vers les rives ensanglantées d’une contrée que je ne reconnais à peine, puis vers un horizon grisâtre que seule la moquerie divine saurait créer. Dans l’entre-deux, tout est figé. Les turbulences que je croyais passagères viennent s’installer pour de bon. Les vagues viennent me troubler jusqu’à ce petit havre de paix où je ne me reconnais plus. Autour de moi la vie continue comme si de rien n’était.
Mais je m’écroule sous les yeux vides, glacials, des habitants de cette forteresse de cristal construite pour refouler la souffrance humaine qui l’entoure (non, le monde ne s’écroule pas pour eux, du moins pas encore). J’essaie de faire pareil, c’est-à-dire de faire semblant que tout est beau, que ça va bien aller, alors qu’on vit la fin d’une époque.
Tout m’invite à détourner le regard. Comment ne pas accepter l‘invitation de l’indifférence ?
Les cris des exilés tombent dans le vide face aux supplices des puissants. Devant l’espoir brisé d’un monde commun fondé sur l’amour et la vérité, nos voix faibles n’arrivent guère à se faire écouter, à franchir les murs faits de malentendus. C’est gênant d’entendre que le glas sonne pour eux. Il sonne pour nous. La barbarie gagne dans le silence.